LEITZ Thambar f:2,2/90 mm

972 – J’étais à Paris, photographe pour une agence, vendeur dans un grand magasin de photo et accessoirement fonctionnaire.

J’étais aussi membre de plusieurs clubs photo parisiens et les photos des grands travaux (bouclage du périphérique, construction de La Défense, de la tour Montparnasse etc… ) apportaient dans les concours photo bon nombre d’images et particulièrement en noir et blanc, la couleur apportait peu sur les sujets traitant des lignes et du béton et je participais avec des Leica à monture à vis (les « M » même d’occasion étaient au-delà de mes moyens).
J’avais plein d’amis qui connaissaient mon goût pour ces Leica et me donnaient de temps en temps des renseignements sur des appareils à vendre.Un jour de juin, un copain me dit connaître un Leica à vendre et me demande ce que ça vaut. Je lui explique que le modèle fait souvent la différence mais que 1000 francs est un prix correct si l’appareil est beau.
Quelques jours après, je reçois un appel téléphonique du propriétaire qui me demande si je suis toujours intéressé….. et je le suis. Donc on se donne rendez-vous, je serai à la terrasse d’une brasserie connue et l’attendrai vers 13 h 30. A l’heure dite, mon vendeur arrive, je lui offre un café et il sort d’une affreuse sacoche en plastique un Leica IIIa équipé d’un objectif Summar 2/50. L’appareil avait un petit enfoncement sous la semelle qui me gênait un peu. Je lui signale le fait et je lui offre 800 francs pensant qu’avec un peu de chance, je trouverais une semelle en bon état (il y avait encore un peu de pièces anciennes chez Leitz).
Mon vendeur avec un bon accent de Paris me dit qu’on lui avait affirmé que ça ne valait pas moins de 1000 francs etc… etc… Je lui propose de nous séparer sans animosité et je lui offre son café et l’idée me vient de lui demander si c’est tout ce qu’il avait à vendre et il me dit : Il y a deux trucs avec et sort un viseur de 135 d’origine, pas très beau au niveau de la visée et un objectif Thambar 2,2 de 90, la peinture pas très fraîche et qui m’était complètement inconnu. Je lui demande ce qu’il en veut et il me répond que c’est avec….. Peu convaincu, je lui dis alors que j’accepte de lui donner 1000 francs pour le tout et le marché est conclu sans que je sois certain d’avoir fait une bonne affaire.
Inquiet tout de même, dès mon retour chez moi, je téléphone à mon patron (grand collectionneur à l’époque) et je lui parle de l’objectif. Aussitôt il me dit… 6000…. ?????? oui, je vous en offre 6000 francs. Un peu surpris, le lendemain, je lui apporte l’objectif et je lui raconte mon achat.
Il me dit alors, Michel, vous allez le garder car un achat comme ça, vous n’en ferez pas souvent. Maintenant si vous tenez à le vendre, je reste acheteur.
Le Thambar est toujours là, je l’ai essayé bien sûr, il est un peu mou (et même plus), j’ai fait quelques portraits avec. Depuis j’ai appris qu’il date de 1936 et qu’il en a été fabriqué moins de 3000 exemplaires. Puis le virus de la collection m’a pris, j’ai commencé par les Leica, j’ai ensuite connu la collection de mon patron, je lui ai acheté quelques appareils, d’autres, plus aisés ont acquis les plus belles pièces, des Photosphères stéréo, des Compass, des Ergo et les Photo- Révolver, photo-cravate et autres Photo livre…. Je n’ai toujours rien de tout cela, mais j’ai nettoyé, essuyé, touché et parfois restauré ces raretés et cette époque est restée un souvenir formidable.

NDLR : Le Thambar f:2,2/90mm est un objectif mythique de LEITZ : c’est le premier objectif à portrait pour petit format. Il répondait à la demande du moment, le portrait en flou artistique. Présenté en 1935, arrêté en 1940, environ 3000 exemplaires furent fabriqués.

Michel DUVERNOIS